Ciné-Zoom
L’acteur entre le théâtre et le cinéma
« Il faut que l’acteur se figure qu’il doit se faire comprendre, tout en étant muet, par des sourds qui le regardent, il faut que son jeu soit sobre, très expressif : peu de gestes, mais des gestes très nets et très clairs ».
Georges Melies
L’idée selon laquelle le cinéma réclame une transposition spécifique des règles apprises dans le jeu théâtral ou dans les autres formes de spectacle, est apparue très tôt. C’est David Wark Griffith, lui même ancien acteur de théâtre, qui aurait contribué à éliminer du jeu de cinéma, la gesticulation excessive des bras. Il est vrai que le cinéma débutant incitait les acteurs à bouger encore plus frénétiquement qu’au théâtre, afin de supplier à l’absence des mots pour une gestuelle très démonstrative. La transition dans le cinéma muet, d’un style de jeu très agité à un autre plus concentré, concerne aussi l’utilisation du visage On passa du roulement des yeux expressif à des faces plus neutres et plus habitées intérieurement. Le jeu immobile parfois du comédien, aurait été l’un des principaux déclencheurs de cette évolution.
Les comédiens devaient aussi tenir compte, dans leur jeu, des coupures imposées par les intertitres. Autrefois, les acteurs de théâtre commettaient fréquemment une erreur. Ils avaient appris à exprimer leurs émotions par le dialogue. En conséquence, une partie de leur meilleur travail était coupée et remplacée par les sous-titres. Dans un film muet, il fallait conserver la même intensité dramatique du début à la fin de chaque réplique. Il fallait savoir où les sous-titres allaient être placés. Il fallait sans cesse contrôler et ralentir son jeu. Il suffira, avec le parlant, d’expliquer les mêmes principes à la voix : porter moins la direction et l’accentuer moins, en raison d’un effet de gros plan semblable à celui qui se produit avec l’image.
Par ailleurs, l’idée de réalisme, substantielle au cinéma, détermine la plupart des critères qui guident le jeu des acteurs. De son côté, le public admet mal, dans un film, des conventions de stylisation qu’il tolère sans problème au théâtre. A s’en tenir à l’apparence, ce que fait l’acteur sur un plateau de cinéma n’a rien à voir avec le jeu : on le voit répéter mécaniquement des bribes d’action, des portions de textes et de comportement, sans que dans cette répétition puisse souvent se lire la moindre progression.
De même, le tournage dans l’ordre chronologique qui pose d’importants problèmes d’organisation a été adopté par certains réalisateurs, afin d’aider les acteurs, mais aussi les techniciens, à s’investir dans le récit. Il est difficile en effet, pour un interprète et ceux qui l’entourent de se pénétrer profondément de l’atmosphère d’une histoire et de la force d’un personnage quand il faut tourner d’abord la scène de son suicide, puis un plan neutre de montée d’escalier, puis une scène de bonheur. En même temps, on peut penser que ce sont ces conditions mêmes de morcellement et d’émiettement du travail qui font l’originalité, voire l’essence du cinéma.
Le jeu de cinéma aurait par rapport au jeu de théâtre, l’originalité d’approcher la vérité de l’être, cela à la faveur de la proximité du regard et selon le principe même de fixer des moments, comme une photographie. L’acteur de cinéma apprend alors, non seulement à se concentrer sur quelques secondes particulières,mais aussi à localiser son jeu dans une partie de son corps. Pour cela, il peut avoir besoin de connaître le cadrage, afin de jouer pour une position de la caméra et pour un objectif déterminés.
Ainsi se constituent des habitudes, des repères, des techniques que certains réalisateurs ont périodiquement voulu cesser. Certains cinéastes filment à plusieurs caméras pour que l’acteur ne sachant plus de quel côté il sera vu, soit déconcerté et plus vulnérable. D’autres encore lui donnent des répliques au dernier moment, sans l’informer du cours de la scène.
L’acteur de cinéma n’est pas censé débarquer sur le film le jour du tournage. On attend de lui en général qu’il ait préparé son rôle. Cependant, tout ce qui caractérise la technique cinématographique permet de réduire à néant ce temps de préparation. Un cas extrême en apparence, mais qui se rencontre plus souvent qu’on ne pense, notamment pour les personnages secondaires. Pour les rôles principaux, la pratique des répétitions préalables s’est relativement répandue, surtout depuis les années 50. C’est là qu’apparaissent des techniques diverses. Certains réalisateurs apportent un grand soin aux répétitions préalables, en groupe ou isolement, comme au théâtre. Avec cette différence qu’au cinéma, le texte peut être changé en répétant. Les répétitions de cinéma servent donc, entre autres, non seulement à familiariser les acteurs avec leurs personnages, mais aussi à leur permettre d’adapter le texte à leur bouche, de trouve une manière à eux de dire leurs répliques
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